Alors que le président américain élu, Donald Trump, incite à ne pas se mêler du «bordel» syrien, l'administration du président sortant, Joe Biden, juge, au contraire, qu'il en va des intérêts vitaux des États-Unis.
Les États-Unis, comme le reste du monde, ont été pris de court par l'offensive éclair des rebelles syriens, dirigés par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a conduit en quelques jours au renversement du président syrien Bachar al-Assad, dans un pays miné par plus d'une décennie de guerre civile.
La nouvelle donne syrienne force Washington à revoir sa stratégie
Mais la nouvelle donne force le gouvernement américain à revoir en urgence sa stratégie, lui qui, au cours des dernières années, faute de pouvoir soutenir une alternative viable au dirigeant syrien, s'était largement désengagé pour se concentrer sur la lutte contre le groupe jihadiste État islamique (EI). Les États-Unis disposent dans ce cadre de quelque 900 soldats en Syrie.
Les deux grandes lignes d'action de Washington
Depuis la chute de Damas, Washington s'est fixé deux grandes lignes d'action: empêcher toute résurgence de l'EI - le Pentagone a mené dès dimanche des frappes contre des cibles du groupe - et tenter de peser sur la transition politique en Syrie, en appelant à un processus «inclusif et non sectaire», comme l'a fait mardi le secrétaire d'État Antony Blinken. Il a précisé que les États-Unis «reconnaîtront et soutiendront pleinement le futur gouvernement syrien issu de ce processus».
Visite d'Antony Blinken en Turquie
Antony Blinken se rendra vendredi en Turquie, très impliquée en Syrie, pour discuter de la situation dans le pays, a indiqué mercredi une source officielle turque. Les responsables américains mettent pour le moment en sourdine le fait que les États-Unis considèrent le HTS, jadis lié à Al-Qaïda, comme un groupe «terroriste» et soulignent qu'à ce stade, le groupe «emploie les bons mots».
La position de Donald Trump
Mais dès samedi, soit à la veille de l'annonce de la chute d'Assad, Donald Trump a appelé à surtout ne pas «se mêler» de la Syrie, jugeant, pour résumer, que les États-Unis n'avaient rien à y faire. Il a redit la même chose dans un entretien au magazine français Paris Match publié mercredi: «Il y a énormément de crises dans le monde. Depuis quelques jours, on en a une nouvelle en Syrie. Ils devront se débrouiller seuls, car nous ne sommes pas impliqués là-bas et la France non plus».
Donald Trump prendra ses fonctions le 20 janvier. Lors de son premier mandat, de 2017 à 2021, il avait tenté de retirer les troupes américaines de Syrie, avant d'y renoncer sous la pression internationale. «Il reste à voir si, au cours de son second mandat, il retirera tout ou partie de ces forces», dit Brian Finucane, de l'International Crisis Group. Pour Steven Cook, du Council on Foreign Relations, les États-Unis se doivent de répondre aux préoccupations réelles concernant l'EI, mais «pour ce qui est de s'impliquer dans l'organisation de la politique de la Syrie, je pense qu'il n'y a rien de bon à en tirer».
Les risques d'un désengagement total
John Turner, professeur d'histoire au Colby College, estime cependant que «si les États-Unis restent à l'écart et ne défendent pas leurs intérêts (...), nous courons le risque de reproduire ce qui s'est passé lors de la chute du régime communiste en Afghanistan au début des années 1990», avec l'arrivée au pouvoir des talibans qui ont ensuite servi de refuge à Al-Qaïda. «Une issue similaire en Syrie, bien plus importante sur le plan stratégique, serait désastreuse pour nos intérêts à long terme», souligne-t-il.
Marge de manœuvre limitée pour les États-Unis
Reste que la marge de manœuvre des États-Unis semble limitée, au-delà «d'exprimer leur intérêt pour aider à peser sur le cours des évènements», juge Colin Clarke, directeur de recherche au Soufan Group. Mais il pense que «l'administration Trump doit arriver dès le premier jour avec une politique syrienne cohérente et commencer à travailler avec les autres acteurs sur place, les Turcs principalement».
Relations avec le HTS
Quant aux relations avec le HTS, Robert Ford, le dernier ambassadeur américain en Syrie, fait valoir que le groupe s'est modéré et que les déclarations du chef des rebelles syriens, Abou Mohammad al-Jolani, vont dans le bon sens. «Je ne dis pas qu'il faut faire confiance à Jolani. Il est manifestement autoritaire. C'est manifestement un islamiste qui ne croit pas que les chrétiens ont le même droit au pouvoir que les musulmans. Mais je suis sûr que je veux le tester sur certaines de ces choses», dit-il.
Les États-Unis devraient selon lui encourager le HTS ainsi que d'autres acteurs syriens à tendre la main et à rassurer les diverses communautés du pays, notamment les chrétiens, les Kurdes et les Alaouites, dont est issu Bachar al-Assad. Au-delà, Washington devrait se mettre en retrait et laisser les Syriens régler leur avenir, dit-il.